Depuis mes années d’études d’architecture, j’ai été passionné par la charge historique des espaces. C’était d’ailleurs le sujet de mon mémoire de fin d’études. Il y a quelques mois, j’ai commencé la modélisation et impression 3D de certains des joyaux du patrimoine architectural marocain. Mais au-delà des lignes et polygones, un bâtiment sans son histoire, c’est comme une bibliothèque sans livres. En fouillant à travers les archives, les coupures de journaux d’antan et les correspondances d’époque, une vérité s’est imposée : partager l’histoire d’un édifice est tout aussi crucial que le partage du fichier STL pour l’imprimer.
Je vous invite aujourd’hui à voyager dans le temps, à la découverte de la véritable histoire de la tour de l’horloge de Casablanca. Mon récit s’ancre dans des sources historiques fiables, et s’efforce de rectifier certaines idées reçues et inexactitudes qui ont circulé au fil des ans. Car en effet, certains détails fascinants de la tour ont été perdus ou oubliés, et il est grand temps de les remettre en lumière.
Mise à jour du 22/12/2023 : Maintenant vous pouvez télécharger et imprimer en 3d la tour de l’horloge !
Les Fondations Silencieuses : Le choix initial de la pierre de la Tour de l’Horloge de Casablanca
Il est fascinant de constater que derrière chaque structure imposante, chaque édifice qui émerge pour défier les cieux, se cache une histoire riche et parfois méconnue. Pour la Tour de l’Horloge de Casablanca, son histoire commence bien avant sa première pierre posée, mais plutôt avec le choix minutieux de la pierre elle-même.
Au début du 20ème siècle, alors que Casablanca commençait à voir sa transformation urbaine, l’importance d’une infrastructure solide et représentative était au cœur des préoccupations. Les pavés des rues, témoins muets des événements historiques, étaient tout aussi cruciaux que les bâtiments majeurs eux-mêmes. Dans une coupure du « Journal général de l’Algérie et de la Tunisie » datée du 26 juin 1910 qui reprend un article du journal l’Action Marocaine, on nous parle d’une adjudication pour la fourniture des pavés destinés à donner une nouvelle forme aux rues de la ville.
Mais c’est une note en particulier qui a attiré mon attention : la pierre choisie pour la première adjudication provenait de la carrière de Si Abdel Kerim ben el Hadj Bou Azza, située sur les terrains de M. Karle Fike, à quelques kilomètres sur la route de Mediouna. Cette carrière dévoilait huit couches épaisses de grès, offrant une pierre de taille de qualité supérieure. Mais plus significatif encore, c’est de ces carrières qu’ont été extraites les pierres qui allaient donner naissance à la Tour de l’Horloge.
Ce choix n’était pas anodin. La qualité de la pierre, sa durabilité et son esthétique étaient des critères primordiaux pour un édifice destiné à devenir un repère emblématique de la ville. Comme le commandant Dessigny l’avait si poétiquement dit en voyant ces pierres : « Tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Horloge ».
Ce choix initial de la pierre met en lumière l’attention portée aux détails, l’importance de la qualité et l’engagement envers l’intégrité architecturale. C’était une promesse silencieuse faite à Casablanca et à ses habitants que cette tour serait un symbole de fierté, construite avec le meilleur que la terre marocaine avait à offrir.
La suite de l’histoire de la Tour de l’Horloge est tout aussi fascinante, avec des rebondissements et des révélations. Mais tout commence avec cette pierre, ce fondement silencieux mais robuste sur lequel repose un emblème de la ville.
Le Capitaine du Génie Bouillot : L’Architecte Oublié
Au cœur du Casablanca du début du XXe siècle, le Chef de Bataillon Dessigny, alors à la tête des Services Administratifs de la ville, envisagea un monument qui se tiendrait fièrement, non seulement comme un simple repère temporel, mais aussi comme un symbole de la fusion des cultures et des temps.
Mais, comme le dit souvent le proverbe, derrière chaque grande vision se trouve un artisan silencieux. Et cet artisan était le Capitaine du Génie Bouillot. C’est lui qui a traduit la vision de Dessigny en une réalité palpable. Pourtant, au fil des années, l’histoire a omis de lui donner la place qui lui est due. Bouillot n’était pas seulement un exécutant, mais un artiste à part entière. Il a su intégrer l’esthétique mauresque traditionnelle dans une structure moderne, tout en restant fidèle à la beauté intemporelle de l’architecture marocaine.
La Tour de l’Horloge, érigée en 1909, témoigne de cette harmonie. Ses 20 mètres d’élévation, sa silhouette carrée robuste, et ses arcades majestueuses sont un hommage silencieux à la fusion de deux mondes. Alors que Dessigny peut avoir été la force motrice, c’est Bouillot qui a donné vie à cette vision.
Il est donc temps de rendre hommage à cet architecte, de reconnaître sa contribution et de lui redonner la place qu’il mérite dans l’histoire de la tour. Pour chaque pierre posée, pour chaque arcade sculptée, Bouillot a laissé une empreinte indélébile, non seulement sur la tour elle-même, mais aussi dans l’histoire architecturale de Casablanca.
La planification urbaine de la mort de la tour de l’horloge, un meurtre prémédité ?
Au tournant du siècle, Casablanca a commencé à connaître une transformation urbaine majeure. Alors que la ville s’étirait et s’adaptait aux exigences du modernisme et de la croissance démographique, les grands boulevards et avenues ont vu le jour, créant une nouvelle dynamique architecturale et urbaine.
Parmi ces artères, l’avenue du 4ème Zouaves se démarquait. Cette voie, essentielle pour la circulation et la connectivité de la ville, a commencé à définir une nouvelle vision de Casablanca. Les impératifs d’urbanisation ont conduit à repousser la muraille de la médina, qui jadis encerclait la ville et la délimitait, créant ainsi un nouvel espace urbain.
Au milieu de ces changements rapides, la Tour de l’Horloge, autrefois adossée à la muraille, se retrouva progressivement isolée. Son emplacement, qui avait été jadis en harmonie avec le paysage de la ville, devenait désormais un obstacle dans la nouvelle vision urbanistique de Casablanca. Alors que la muraille reculait, la tour se retrouvait de plus en plus en saillie, trônant maintenant au milieu de la place de France.
Cet emplacement central, bien que pittoresque et symbolique, allait être son talon d’Achille. Son positionnement en plein cœur de la ville, là où les besoins en matière de mobilité et d’aménagement urbain étaient les plus pressants, allait finalement la condamner à disparaître. Mais, avant cette disparition, la tour aurait encore quelques années pour être le témoin muet de la transformation d’une ville en pleine mutation.
Le Souffle Silencieux du Temps : La Bataille de la Tour de l’Horloge
Il est des lieux, des monuments, qui transcendent leur simple existence matérielle pour devenir des symboles, des gardiens muets d’une époque, d’une histoire et d’une mémoire collective. La Tour de l’Horloge de Casablanca était l’un d’eux. Se dressant fièrement au milieu de la Place de France, elle n’était pas seulement une structure de pierre et de métal, mais un repère et tout un symbole. Elle était la mémoire vivante d’une époque, témoin des premières empreintes d’une relation complexe et riche entre le Maroc et la France.
Mais comme pour tout ce qui porte le poids de l’histoire, la tour s’est trouvée prise dans les vents du changement. La modernisation, l’urbanisation, et la vision d’une ville nouvelle ont placé la tour au centre d’un débat brûlant, tiraillée entre le désir de préserver le passé et la pression d’accueillir le futur. Elle est devenue, malgré elle, un champ de bataille où se confrontaient visions, passions et intérêts.
Et au cœur de cette tempête, des voix se sont élevées, certaines criant à la destruction au nom du progrès, d’autres clamant la préservation au nom de la mémoire. Parmi ces dernières, celle de M. Gillet a retenti avec une intensité particulière, portant le fardeau de l’histoire et de la mémoire, luttant avec ferveur pour sauver ce qui était, à ses yeux, bien plus qu’une simple construction.
Plongeons-nous alors dans cette époque tumultueuse, revivons les débats passionnés et suivons le destin de la Tour de l’Horloge à travers les coupures de presse qui ont marqué cette période décisive…
- Recours en grâce de la tour de l’horloge 26 MAI 1948
La Dernière Ligne de Défense :
La Place de France, autrefois bruyante et animée, porte désormais le lourd fardeau d’un échafaudage, présage sinistre de l’imminence de la disparition de la Tour de l’Horloge. La Chambre Syndicale des Entrepreneurs Français du Maroc, sous la bannière ardente de son président d’honneur, M. G. Gillet, se lève comme un rempart face à cette perte tragique. Gillet, avec une véhémence presque poétique, rappelle à tous le rôle emblématique de la tour, un symbole des premières interactions entre la France et le Maroc. Il défend cette tour non pas comme un simple monument, mais comme le témoignage vivant d’une histoire commune.
- Vote pour la destruction de l’horloge 27 MAI 1948
Les Tambours du Destin Résonnent :
En dépit des cris et des supplications des défenseurs passionnés de la tour, la Commission municipale scelle son destin avec un vote irrévocable pour sa démolition. Les mots éloquents de M. Gillet et de la Chambre Syndicale semblent avoir été étouffés par les échos d’une modernisation impitoyable, où l’histoire et la mémoire cèdent la place à la nouveauté.
- MATIN DU 3 JUIN 1948, début des travaux de démolition de l’horloge
Le Crépuscule d’un Symbole :
Tandis que l’aurore perce les cieux de Casablanca, le bruit des marteaux et des pioches résonne comme un glas pour la Tour de l’Horloge. Malgré la résistance acharnée de figures comme M. Gillet, la tour, qui a si fièrement veillé sur la ville, est maintenant condamnée à disparaître. Elle tombera, mais non sans que des voix courageuses et passionnées, comme celle de Gillet, se soient élevées pour défendre son héritage.
La Tour de l’Horloge reconstruite après 45 ans, déplacée de 45 mètres avec une rotation de 45 degrés : Coïncidences ou dessein délibéré?
L’année 1993 a été marquée par deux événements architecturaux majeurs à Casablanca : la renaissance de la Tour de l’Horloge et l’inauguration de la Grande Mosquée Hassan II. Ces deux événements coïncident avec une période où le Maroc, sous la direction d’Hassan II, cherchait à se redéfinir tout en honorant son riche patrimoine.
La Grande Mosquée, représentant l’un des plus grands édifices religieux du monde, est sans aucun doute un reflet de cette vision. Mais, en parallèle, la reconstruction de la Tour de l’Horloge, bien que moins imposante, pourrait suggérer une intention royale d’équilibrer la modernité avec la conservation du passé.
Ce qui frappe dans cette reconstruction, c’est l’apparente obsession avec le nombre 45 : reconstruction 45 ans après sa démolition, déplacement de 45 mètres, et une rotation de 45 degrés. Ajoutons à cela le sens de la rotation de l’édifice, qui s’est fait dans le sens anti-horaire, comme pour symboliser un retour vers le passé. Ces spécificités, loin de paraître anodines, soulèvent des questions. Est-ce un simple hasard ou y avait-il une intention cachée derrière ces choix?
Les décisions architecturales, surtout concernant un monument aussi symbolique, sont rarement accidentelles. Le nombre 45 pourrait-il avoir une importance spéciale pour ceux qui ont pris ces décisions ? Peut-être s’agit-il d’une représentation symbolique, où chaque année d’absence est compensée par un mètre de déplacement, ou peut-être un rappel artistique du passage du temps et du renouveau.
Il est également intriguant de noter que la tour n’a pas été simplement translatée. La rotation de 45 degrés pourrait avoir été effectuée pour des raisons esthétiques, peut-être pour offrir un angle unique, ou pour s’aligner avec d’autres repères de la ville.
Bien entendu, sans des documents d’archives ou des témoignages, nous ne pouvons que spéculer sur les véritables raisons de ces choix. Cependant, ces « coïncidences » ajoutent une dimension de mystère à l’histoire déjà fascinante de la Tour de l’Horloge, laissant place à l’interprétation et à la curiosité des générations futures. Pour les amateurs d’histoire et d’architecture, ces détails offrent une énigme séduisante, une énigme qui, espérons-le, sera un jour élucidée.
Ce schéma illustre les localisations avant et après de la Tour, tout en soulignant les changements de nomenclature des avenues qui la bordent. Ces ajustements, même s’ils semblent subtils, témoignent peut-être d’une volonté de réinsérer harmonieusement la Tour dans le Casablanca d’aujourd’hui.
Horloge et Héritage : Résonances d’un Monument Renaissant
En tant qu’architecte passionné par l’histoire et le patrimoine de ma ville, Casablanca, je suis profondément convaincu que la Tour de l’Horloge reconstruite en 1993 doit être reconnue comme un élément essentiel de notre patrimoine architectural. Cette reconstruction, bien que récente, est pour moi une manifestation concrète de notre lien avec le passé de Casablanca. La Tour originale, qui a été démolie, était un repère historique inestimable. Sa reconstruction n’est pas une simple réplique ; elle symbolise notre détermination à préserver notre histoire et notre identité.
Les aspects uniques de sa reconstruction, notamment son déplacement de 45 mètres et sa rotation de 45 degrés, ne sont pas de simples coïncidences. Pour moi, ils représentent une réflexion profonde sur notre passé et une célébration de notre héritage, tout en intégrant harmonieusement la Tour dans le Casablanca contemporain. Cela illustre parfaitement notre engagement à préserver notre patrimoine tout en répondant aux exigences du présent.
Cette reconstruction coïncidant avec l’inauguration de la Grande Mosquée Hassan II est, à mes yeux, une preuve de la prise de conscience croissante de la valeur de notre patrimoine architectural. Elle démontre notre respect pour notre passé historique et notre désir de le mettre en valeur.
Pour moi, la Tour de l’Horloge reconstruite est bien plus qu’une structure architecturale. Elle est un symbole vivant de l’histoire, de la transformation et de la richesse culturelle de Casablanca. Sa présence dans notre paysage urbain moderne est un rappel constant de notre histoire, un témoignage de notre capacité à honorer notre passé tout en avançant vers l’avenir.
Je suis fermement convaincu que reconnaître la Tour de l’Horloge reconstruite comme un élément précieux de notre patrimoine architectural n’est pas seulement une question de préservation esthétique. C’est un acte de reconnaissance de son importance en tant que symbole de la continuité, de la résilience et de la richesse culturelle de notre ville bien-aimée, Casablanca. »
Je tiens également à remercier Casamémoire, l’association dédiée à la sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au Maroc, pour leur soutien dans la recherche historique sur la Tour de l’Horloge. Leur engagement à préserver l’histoire et l’architecture de Casablanca est un pilier essentiel pour des études approfondies et pour la mémoire collective de la ville.
L’histoire de la tour de l’horloge n’est pas terminée
La Tour de l’Horloge de Casablanca est un miroir vivant, reflétant à la fois le passé glorieux et les aspirations futures de la ville. Elle incarne la fusion subtile entre la tradition marocaine et l’innovation moderne, rappelant à la fois les défis et les triomphes de Casablanca au fil du temps. Le soin méticuleux apporté à la sélection de la pierre, le génie architectural du Capitaine du Génie Bouillot, et les débats passionnés sur son avenir, tous mettent en lumière l’importance de cet édifice emblématique. Sa démolition a laissé une cicatrice, mais sa résurrection en 1993, coïncidant avec l’inauguration de la Grande Mosquée Hassan II, témoigne de la résilience et de la vision de la ville. Toutefois, il reste encore des zones d’ombre concernant sa reconstruction.
J’invite donc chaleureusement tous ceux qui disposent d’informations supplémentaires sur cette période cruciale de la tour à les partager. Ensemble, nous pourrons continuer à tisser le récit fascinant de la Tour de l’Horloge, enrichissant ainsi notre compréhension collective du patrimoine inestimable de Casablanca.
Salut ! Je suis étudiante en architecture à l’ENA, je trouve cet article sur la Tour de l’Horloge de Casablanca extrêmement pertinent pour mon travail de recherche sur le patrimoine de la période du protectorat. Est-ce que par hasard tu aurais les plans coupes et façade de la tour de l’horloge ? je demande car j’ai vu que tu as modélisé ça en 3d. En tout cas merci pour ce partage éclairant !
Excellent article. Toutefois, Je voudrais ajouter une remarque si vous permettez.
L’architecture de l’horloge ressemble tellement aux tours d’ANFA telle que représentées dans la carte de la ville illustrée dans l’ouvrage « Civitates orbis terrarum » edité par georg braun entre 1572 et 1617.
Cette ressemblance rend cette carte l’inspiration très probable de Bouillot et Dessigny.